Les Rendez-vous littéraires
rue Cambon invitent

Maria Pourchet

avec

Charlotte Casiraghi
et Rebecca Marder

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Pour la onzième édition des Rendez-vous littéraires rue Cambon, CHANEL et Charlotte Casiraghi, ambassadrice et porte-parole de la Maison, ont invité l’écrivaine et scénariste Maria Pourchet, en compagnie de l’actrice et ambassadrice de la Maison Rebecca Marder.

Animée par l’écrivaine et journaliste Lauren Bastide, cette conversation consacrée à Maria Pourchet revient sur les pouvoirs qu’elle attribue à la littérature et l’importance de faire place aux nuances afin de « laisser à la pensée le temps de se faire ».

Une performance musicale de l’artiste musicienne Clara Ysé, accompagnée du pianiste Camille El Bacha, a conclu ce rendez-vous.

Maria Pourchet

Maria Pourchet est née en 1980. Titulaire d’un doctorat en sciences sociales, elle enseigne quelques années à l’université avant de s’orienter vers les métiers du conseil, et collabore de manière suivie, à partir de 2010, aux travaux de l’Observatoire des gouvernances et des hauts dirigeants. Son premier roman, Avancer (2012) paraît chez Gallimard, ainsi que les trois suivants : Rome en un jour (2013), Champion (2015), Les impatients (2019), qui seront très remarqués par la critique. Son écriture marque une évolution assez nette avec Toutes les femmes sauf une, paru chez Pauvert en 2018, auto-fiction consacrée aux femmes victimes « du crime parfait du langage » et explorant comment la langue adressée aux filles depuis leur enfance assure la reproduction des conditionnements.
Elle vit essentiellement de sa plume depuis 2015, écrivant, outre ses livres, pour le cinéma et la télévision. Son dernier roman, Western, vient d’être publié chez Stock.

Observatoire des gouvernances et des hauts dirigeants, une marque du groupe NB Lemercier & Associés. / Maria Pourchet, Avancer, © Éditions Gallimard, 2012. / © Éditions Gallimard. / Maria Pourchet, Rome un jour, © Éditions Gallimard, 2013. / Maria Pourchet, Champion, © Éditions Gallimard, 2015. / Maria Pourchet, Les impatients, © Éditions Gallimard, 2019. / Maria Pourchet, Toutes les femmes sauf une, © Fayard, 2018. / © Pauvert, département des éditions Fayard. / Maria Pourchet, Western, © Éditions Stock, 2023. / © Éditions Stock.

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Maria Pourchet,
romancière incendiaire

Amatrice de risques et de destins obliques, Maria Pourchet semble être une romancière de la terre brûlée. Elle n’aime rien mieux que d’observer ses personnages tout incendier, pour tout recommencer.
Victoria, Marguerite, Marie, Reine, Laure, Aurore, Chloé : Maria Pourchet est toutes ces femmes qui luttent pour se faire une place, exister dans une société qui les aliène, leur assigne une place ordinaire qu’elles refusent. Il nous faut aussi citer les noms des figures masculines : Fabien, Clément, Alexis et d’autres qui, dans leur persévérance à essayer, à rater, puis à rater mieux, frappent par l’excès du tourment qu’ils dégagent, et que la romancière explore dans leurs insuffisances et leurs limites.
Maria Pourchet le dit dans Toutes les femmes sauf une : on écrit pour faire taire des voix aliénantes, pour exorciser des voix hargneuses qui ont pour finalité – souvent inconsciente – de manipuler et d’humilier. Comment sortir grandi de l’incommunicabilité, de la mesquinerie, des paralysies affectives ? Par la parole et l’écriture, seuls espaces viables où la liberté d’être soi emprunte mille masques tout aussi sincères les uns que les autres. Où la licence de dire ce qui si longtemps est resté tu est totale et sans compromis. Où enfin, le sérieux d’un propos peut s’accorder sans craindre le ridicule à la part de jeu portée par tout récit fictionnel.

Une capitale et ses monstres

Chaque héroïne de Maria Pourchet voue au parisianisme à la fois le plus haut respect qui soit, et se trouve être dans le même mouvement sa victime propitiatoire la plus pathétique. Paris est tout à la fois un idéal et une psychose. Dans Avancer, Victoria, « née Marie-Laure, Vosges, préfecture Épinal, vingt-huit ans, cherche actuellement à Paris la voie royale » (p. 13), sans la trouver, naturellement. Dans Rome en un jour, Marguerite avait « suffisamment de responsabilités pour pouvoir s’acheter des tailleurs rue de Seine » (p. 82). Dans Feu, Laure et Clément se trouvent devant le défi d’éviter les ratés du désir dans la chambre capitonnée d’un hôtel situé Quai Bourbon, sur la majestueuse île de la Cité. Paris, ville de tous les fantasmes, de toutes les dominations, et de tous les rêves de grandeur contrariés. Tout y est permis, car « personne n’est maqué » (Les impatients, p. 67) – paraît-il.
Chloé, la jeune comédienne de Western, abusée moralement par Alexis Zagner, l’apprendra à ses dépens. À Paris, on peut apparaître et disparaître à loisir, mais tout de même, rappelle Maria Pourchet, sous l’œil vigilant des journalistes - ces héros de notre temps. Car Alexis, s’il disparaît après avoir causé l’irréparable dans l’esprit et le corps de Chloé, se voit exposé dans toute sa malignité par des articles publiés en ligne dénonçant l’emprise, rendant ce qui hier était du ressort de l’intime, un bien public. Maria Pourchet ne se contente pas de décrire une ville et ses mœurs, une époque et ses excès. Elle passe sous son regard pénétrant le jusqu’au boutisme déviant des professeurs de désir et les renoncements des déserteurs de la passion.

Apprivoiser le fiasco

Tenter de résumer l’œuvre de Maria Pourchet s’avère difficile, voire impossible. Tout d’abord, on espère que cette œuvre ne fait que commencer. Mais si l’on voulait être bref, on dirait que l’écrivaine semble s’être donné pour mot d’ordre de raconter le fiasco avec brio.
Fiasco, de l’italien « échec », mot entré dans la langue française à la faveur de Stendhal. Raconter le fiasco, ce n’est pas exactement raconter l’échec. C’est raconter l’échec absolu, définitif, complet. Celui qui compromet la suite, la relève. Le fiasco stendhalien, c’est dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel condamné à mort pour avoir prétendu à la réussite et à l’amour. Julien et son élan décapités entraînent un cortège funèbre et une interruption brusque de tout commentaire narratif. C’est aussi, dans Lucien Lewen, notre héros tombant piètrement de cheval au moment même où il prétendait faire preuve de son habileté devant une femme convoitée, et suscitant les rires cruels de tout un escadron. Comme les anti-héros stendhaliens, les personnages de Maria Pourchet tombent, examinent le précipice, tantôt pour mourir avec préméditation (Clément dans Feu), tantôt pour s’installer tout au bord (Victoria dans Avancer). Par curiosité et obstination. Ou défi. Retenons cette dernière hypothèse, si romantique. Parfois, quand la chute n’est pas fatale, le fiasco impose une suite radicalement autre.
Aller au fond du fiasco, voilà une idée romanesque : c’est ce qui donne leur rythme aux romans de Maria Pourchet, et tout particulièrement à Feu, roman de la passion et du désir éclopés, de l’avenir avorté. Laure et Clément s’aiment, en retrait du monde, qu’ils finiront bien par quitter, d’une manière ou d’une autre. Leurs hantises imposent la temporalité du récit, saccadé par leurs fantasmes, haché par leurs maladresses, haletant à l’idée d’approcher l’inconnu, et finalement interrompu par leur fureur d’aimer.

Triompher de la rigueur du monde par la parole

Maria Pourchet fait parler les êtres pour les transformer, pour précipiter leur métamorphose. Victoria se raconte dans Avancer (2012), comme celle qui semble invitée sur terre, étrangère à l’espèce parisienne qu’elle observe avec un flegme inimitable et qu’elle fustige avec un humour désopilant. Fabien se confie à Lydia, sa psy, dans Champion (2015), sous les traits d’un adolescent captif d’un pensionnat catholique, au cœur cousu de culpabilité et de deuil. Les invités du couple que forment Paul et Marguerite, dans Rome en un jour (2013), se dévoilent à la faveur d’un anniversaire surprise (complètement raté), en partageant leur insignifiance bonhomme. Marie, dans Toutes les femmes sauf une (2018) pense que sa fille Adèle tout juste née se fiche de son soliloque de pauvre accouchée. Pourtant, dans ce récit incisif, aussi glaçant que tendre sur la maternité et l’héritage, Marie s’adresse à sa fille pour lui apprendre à pénétrer et à éviter les plis du langage biaisé. Triompher de la rigueur du monde par la prise de parole, par le dialogue retrouvé, voire imposé, voilà le chemin qu’empruntent tous les récits de Maria Pourchet.

L’écrivaine se fiche de l’étiquette, du protocole, de la politesse, si vous préférez, et c’est tant mieux. Elle sait que la langue n’a rien d’inoffensif, surtout quand elle se pare de ses plus beaux atours. Elle connaît ses vertiges, ses risques et ses excès. Elle met en scène les mots et leur pouvoir d’agir dans Toutes les femmes sauf une, où Marie se venge des propos aigres de sa mère et de son entourage en donnant à sa fille Adèle, alors qu’elle n’a qu’un jour et avant même de la nourrir, une leçon de savoir-dire et de savoir-vivre. Western met en scène le langage à travers l’obsession d’Alexis Zagner, comédien, de le maîtriser, de poser sa voix, de s’adresser pour mieux captiver. Le verbiage vicieux et dominateur qu’il impose à sa jeune maîtresse se lit comme un marathon de violence verbale où le narcissisme devenu cannibale a le mot de la fin. Mais étonnamment, le jeu que ce même Alexis propose à une autre femme, Aurore, l’indémodable « Action ou vérité ? » met fin à son empire viril. La vérité ne serait-elle pas une action, voire l’action par excellence ? Quand on la dit, ne s’engage-t-on pas à bien plus qu’à un simple discours sans prise sur le monde, sur soi et sur les autres ? La prise de parole d’Aurore sera la brèche qu’on n’attendait plus, la percée rendant possible la rencontre et l’épiphanie.

La voix de la narratrice qui mène le jeu déborde souvent au-delà de la fiction pour rappeler au lecteur qui est le maître. Elle reflète le quant-à-soi si singulier de Maria Pourchet, l’élément le plus précieux de ses livres. Cette voix têtue et entêtante, comme la vague, se retire et déferle tour à tour sans prévenir, selon son bon plaisir. À la manière de tous les romanciers ayant inauguré la modernité en défiant l’illusion romanesque, ces intrusions narratives viennent confirmer l’idée que décidément, tout est permis quand on écrit. La narratrice relativise toujours l’irréparable, insuffle de la légèreté en pleine tragédie, prévient les lecteurs qu’elle a perdu le fil, refuse de prendre parti, commente la perversité du langage pour mieux la défaire… Elle nous accompagne et nous envoûte, trahit la part du ça en moi qu’on balaie et qui revient en dépit de nous et de tout, décrit la bravade d’être en vie, d’en jouir, d’en mourir, et l’ardeur à ressusciter.

Fanny Arama

Maria Pourchet, Toutes les femmes sauf une, © Fayard, 2018.

Maria Pourchet, Avancer, © Éditions Gallimard, 2012.

Maria Pourchet, Rome un jour, © Éditions Gallimard, 2013.

Maria Pourchet, Feu, © Fayard, 2021.

Maria Pourchet, Les impatients, © Éditions Gallimard, 2019.

Maria Pourchet, Western, © Éditions Stock, 2023.

Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830.

Stendhal, Lucien Lewen, 1894.

Maria Pourchet, Champion, © Éditions Gallimard, 2015.

Notice Bibliographique

Maria Pourchet, Western,

© Éditions Stock, 2023.

Clara YSÉ « Douce », autrice-compositrice : Clara YSÉ
Éditions Tomboylab et Sony Music Publishing.

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