
Le Questionnaire littéraire de
Zita Hanrot

Zita Hanrot, actrice et amie de la Maison, invite à découvrir les lectures qui ont forgé sa vision du monde et influencé sa carrière.
Votre vie vous permet-elle de lire comme vous le souhaitez ?
Oui et non. À cause des smartphones, je lis moins qu’avant. Mais avec mon travail, j’ai la chance de devoir lire pour préparer des projets, et c’est toujours à mon initiative. En ce moment, je suis plongée dans Le Chant de Salomon, de Toni Morrison. Cela fait toujours écho à des envies professionnelles, aussi bien en tant qu’actrice que réalisatrice. La lecture, c’est de la nourriture, cela permet d’aller chercher de l’inspiration un peu partout.
Y a-t-il un livre qui vous a aidé à conduire votre vie ?
Oui, je dirais tous les livres d’Anne Dufourmantelle, une psychanalyste décédée il y a quelques années. Ses livres sont sublimes, notamment L’intelligence du rêve et La Sauvagerie maternelle. Elle a une écriture concrète mais qui laisse de la place à l’imaginaire. Il y a des métaphores, elle présente les cas de certains de ses patients mais jamais d’une façon clinique ni rébarbative. Elle va chercher les secrets qui s’y cachent, et créer des ponts. Ce sont des livres que l’on garde et dans lesquels on se replonge quand on en a besoin. C’est un réel magnifié, un peu comme au cinéma. C’est très inspirant.
Quel est le livre le plus libérateur que vous ayez lu ?
C’est difficile de choisir mais je dirais Sex and the series d’Iris Brey. Très intéressant en tant qu’actrice ou réalisatrice parce qu’elle y décortique la représentation du corps des femmes et du plaisir féminin dans des séries occidentales, et le regard qui est posé dessus. Ça questionne énormément sur ce que l’on peut considérer comme normal, mais qui ne l’est pas. Je me suis rendu compte que même moi, en tant que jeune femme de ma génération, j’avais un regard biaisé que je devais déconstruire.
" Avec mon travail, j’ai la chance de devoir lire pour préparer des projets (…). Cela fait toujours écho à des envies professionnelles, aussi bien en tant qu’actrice que réalisatrice. La lecture, c’est de la nourriture, cela permet d’aller chercher de l’inspiration un peu partout. "
Quel est le livre le plus éprouvant jamais lu ?
Esprit d’hiver de Laura Kasischke : un huis-clos hyper anxiogène, toute cette tension, ce renversement de fin, comme un twist de cinéma, qui te fait voir tout le récit autrement. J’ai eu une sensation poisseuse les jours qui ont suivi la lecture de ce livre.
Quelle héroïne romanesque aimeriez-vous être ?
Aomamé, l’héroïne de la trilogie d’Haruki Murakami, 1Q84. C’est une guerrière solitaire, une pirate. Sur scène, j’adorerais jouer Nora dans Une Maison de Poupée d’Henrik Ibsen. J’ai travaillé cette pièce quand j’étais au Conservatoire. Nora est très moderne dans toutes ses contradictions : c’est une femme qui a toujours été sous emprise domestique, de son père d’abord, puis de son mari, et qui essaie de s’en libérer. C’est une histoire de prise de conscience, de lutte et d’émancipation. Des problématiques qui sont toujours les mêmes aujourd’hui.
" Sur scène, j’adorerais jouer Nora dans Une Maison de Poupée de Ibsen. (…) C’est une histoire de prise de conscience, de lutte et d’émancipation. Des problématiques qui sont toujours les mêmes aujourd’hui. "
Quel est l'endroit idéal pour lire ?
Tous ceux où je n’ai pas mon téléphone ! En vacances surtout, donc. Sinon dans mon lit, et dans le jardin de mon père à Marseille… L’important est d’être dans une bulle.
Êtes-vous plutôt roman d'amour ou roman d'aventures ?
J’aime surtout quand les deux genres sont mêlés. Le Rouge et le Noir de Stendhal en est l’exemple type.
Préférez-vous les romans fleuves ou les récits courts ?
J’aime les deux : j’adore lire des nouvelles. Les nouvelles de Tchekhov, qui sont magnifiques, celles de Maupassant que j’ai lues et relues quand j’étais adolescente. Et là j’ai terminé La Tache de Philip Roth. C’est comme les courts et les longs-métrages. Ça n’est pas le même travail, les deux sont aussi riches. J’adore passer de l’un à l’autre.
Quel livre aimeriez-vous voir adapté au cinéma ?
Je viens de tourner l’adaptation du livre Ils désertent de Thierry Beinstingel avec une scénariste et réalisatrice que j’adore : Florence Vignon. Je suis très curieuse de la voir à l’écran.
Le titre d’un livre à offrir indéfiniment ?
Tortilla Flat de John Steinbeck. C’est l’histoire de marginaux qui traînent à San Francisco. Des personnages hyper attachants, décalés, sur le fil. J’avais dix-sept ans quand je l’ai lu, j’en garde un souvenir si puissant que j’ai envie que tout le monde le découvre.
Toni Morrison, Le chant de Salomon, Traduit par Jean Guiloineau, Préface par Christiane Taubira, © Christian Bourgois Éditeur, 2020.
Anne Dufourmantelle, Intelligence du rêve, © Payot & Rivages, 2012.
Anne Dufourmantelle, La Sauvagerie maternelle, © Calmann-Lévy, 2001.
Iris Brey, Sex and the series, © Éditions de L'Olivier, " Les Feux ", 2018.
Laura Kasischke, Esprit d'hiver, Traduction par Aurélie Tronchet, © Christian Bourgois Éditeur, 2013.
Haruki Murakami, 1Q84, Traduction du japonais par Hélène Morita. Tomes 1 et 2 : © Belfond, 2011, pour les traductions françaises. Tome 3 : © Belfond, 2012, pour la traduction française.
Henrik Ibsen, Une Maison de Poupée, Traduction par Marc Auchet, © Le Livre de Poche, 1990.
Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830.
Philip Roth, La Tache, Traduction par Josée Kamoun, © Éditions Gallimard, « Du monde entier », 2002.
Thierry Beinstingel, Ils désertent, © Fayard, 2012.
John Steinbeck, Tortilla Flat, Traduction par Brigitte V. Barbey, © Éditions Gallimard, " Folio ", 1972.
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